"-Voici mon secret. Il est très simple. On ne voit bien qu'avec le coeur; l'essentiel est invisible pour les yeux. Les Hommes ont oublié cette vérité (...). Mais tu ne dois pas oublier: tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé."

Antoine de St Exupery

lundi 16 mars 2015

La cession de mâchoire sans mors: une utopie?

Dans la continuité de mon article sur la cession de mâchoire/flexions d'encolure/cession de nuque, une question m'est venue directement après: comment gérer la cession de mâchoire lorsque l'on monte sans mors?

C'est vrai que c'est un motif assez récurrent chez les opposants au "sans mors" et jusqu'à présent, je ne m'étais jamais vraiment attardée sur le sujet car la question ne s'est jamais vraiment posée pour moi. J'utilise habituellement le side pull lorsque je travaille un peu plus "cool" mais si je veux plus de finesse, je travaille en mors.

On va tenter de voir un peu les possibilités que nous offre la monte sans mors...


Comment fonctionne la cession de mâchoire?

Pour savoir si nous serons en mesure de reproduire la cession de mâchoire sans utiliser de mors, il faut déjà bien comprendre comment fonctionne "bio-mécaniquement" la cession de mâchoire.

Source
Au niveau du crâne du cheval, plusieurs muscles relient la mandibule (= la mâchoire du bas) à la langue et l'os hyoïde qui constituent une sorte de noyau central qui influe sur l'ensemble de l'avant main (nuque, encolure, sternum). L'hyoïde est notamment relié à l'articulation temporo-mandibulaire (ATM). 
Lorsque l'on actionne le mors au niveau des commissures, on crée un inconfort dont le cheval va chercher à se débarrasser. Le cavalier va alors relâcher la pression (= céder) et le cheval se mettra à déglutir. Cette action libère l'hyoïde qui lui-même va déverrouiller et décontracter l'ATM (= la nuque) ainsi que l'encolure et les épaules. 

Il est très important de retenir que les mâchoires serrées ne permettent pas le travail dans le bon sens: l'hyoïde n'est pas sollicité et l'ATM est alors verrouillée ce qui empêche la décontraction. Les mâchoires du cheval sont serrées dans plusieurs cas:
- encapuchonnement
- stress, inquiétude
- défense contre la main
- muserolle trop serrée
Avec une mâchoire serrée, impossible pour le cheval d'ouvrir la bouche pour répondre à l'inconfort généré par la pression du mors sur la commissure des lèvres. Impossible donc d'obtenir une cession de la mâchoire.


A quoi sert la cession de mâchoire?

Selon Philippe Karl, la cession de mâchoire a différentes vertus:
- Elle renseigne sur l'état moral du cheval: La bouche est un moyen de communiquer avec le cheval.
- Elle révèle l'état d'équilibre du cheval: Le cheval déséquilibré va serrer ses mâchoires, rendant la cession de mâchoire impossible.
- Elle développe la flexibilité générale: La cession de mâchoire, par son influence sur l'ensemble de l'avant main, permet de plier plus facilement l'encolure et le rachis.
- Elle est facteur d'impulsion: Elle facilite le contact avec la main et donc la confiance du cheval dans la main et l'incite à se porter en avant.

Reprenons ces éléments point par point pour voir si la cession de mâchoire est absolument nécessaire dans chacun de ces cas.

- Elle renseigne sur l'état moral du cheval: On peut se passer de la cession de mâchoire. D'autres signes peuvent nous renseigner à ce sujet.
- Elle révèle l'état d'équilibre du cheval: Il y a d'autres moyens de sentir le déséquilibre du cheval. Néanmoins, le mors est, selon moi, un outil précieux à ce niveau. Pour me servir également du side, je trouve qu'on met beaucoup plus de temps à sentir le déséquilibre du cheval avec le side pull qu'avec le mors. La cession de mâchoire est donc utile puisque indispensable lorsque l'on utilise un mors.
- Elle développe la flexibilité générale: Là dessus, je trouve vraiment que la cession de mâchoire apporte un vrai plus.
- Elle est facteur d'impulsion: Même si l'impulsion ne se résume pas à la cession de mâchoire, celle-ci apporte là aussi un vrai plus parce qu'elle aide le cheval à comprendre comment fonctionne le mors et comment le gérer.

Pour moi, il s'avère tout de même délicat de se passer de cession de la mâchoire dans le travail.
Certains pros "sans mors" affirment que la cession de mâchoire ne sert à rien à partir du moment où l'on utilise pas le mors. Ce serait juste si le seul rôle de la cession de mâchoire était de faire accepter le mors au cheval. Mais c'est loin d'être le cas...
Le simple fait qu'elle participe à la décontraction du cheval la rend, à mon sens, intéressante à utiliser (et n'allez pas me dire que le cheval monté sans mors est toujours décontracté, je n'y croirais absolument pas...). Je suis d'accord que le simple fait de mettre un mors dans la bouche de son cheval induit un certain nombre de contractions musculaires qu'il est nécessaire de débloquer au moyen notamment de la cession de mâchoire mais le fait de monter sans mors ne veut pas dire que l'ATM est parfaitement déverrouillée en permanence (on l'a vu plus haut justement: un simple stress peut générer le blocage des mâchoires et donc verrouiller l'ATM).


Peut-on obtenir une cession de mâchoire sans mors?

Alors déjà, le gros point noir c'est que la cession de mâchoire se demande sans muserolle (sans muserolle serrée en tous cas) donc ça complique pas mal les choses étant donné que la plupart des ennasures présentent une muserolle qui nécessite d'être assez ajustée pour ne pas tourner et devenir inconfortable ou inefficace.

Il y a toujours la solution de la demander "mécaniquement" en remplaçant en quelque sorte le mors par le pouce placé à la commissure des lèvres mais du coup, on ne peut travailler la cession de mâchoire qu'à pied et on ne peut plus l'utiliser à cheval (parce qu'on n'a pas des bras extensibles et qu'on a souvent une muserolle qui entrave le jeu des mâchoires). Mais finalement une fois à cheval, j'ai l'impression qu'on se sent bien couil*on...

Finalement, je pense que la solution c'est de chercher à déjouer les contractures éventuelles par d'autres moyens que la cession de mâchoire. 
Je vois une piste à creuser qui peut être intéressante: bien travailler les cessions à la pression de la muserolle, de manière à ce que ça devienne réflexe pour le cheval. Ca donne déjà une première possibilité d'agir sur le nez et "la bouche". D'ailleurs, un cheval travaillé dans le bon sens mâchouille même sans avoir de mors dans la bouche.

En fait, je pense que la grande différence entre la monte avec mors ou sans mors, c'est qu'avec le mors, la décontraction est un pré-requis au travail dans le bon sens alors que sans mors, la décontraction est la résultante d'un travail bien mené.
Avec le mors, le travail dans le bon sens nait de la décontraction de la mâchoire. Sans mors, le travail dans le bon sens vient du boulot mené sur les postérieurs (impulsion) et le rachis (incurvation).


Pour conclure, je dirais qu'il est techniquement difficile (voir impossible) d'obtenir une cession de mâchoire sans mors. Néanmoins, cela ne signifie pas qu'il est impossible de travailler dans le bon sens sans mors (et donc sans cession de mâchoire) mais il faut alors réussir à s'éloigner de ce que peut nous enseigner le Bauchérisme et l'équitation classique pour développer une nouvelle logique de progression dans le travail.

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