S'il y a un écuyer dont j'admire le travail, c'est bien Philippe Karl. Cet ancien écuyer du Cadre Noir a fondé "L'Ecole de Légèreté", courant de pratique équestre qui s'appuie sur les principes suivants:
- respect du cheval, de son intégrité physique et de son mental;
- exclusion d'artifices coercitifs (muserolles serrées, enrênements...).
Il s'agit d'une méthode - presque une philosophie - de pratique de l'équitation qui s'adresse à tous types de chevaux et à toutes les disciplines équestres. Elle repose (dans les très très grandes lignes) sur l'autonomisation du cheval et un principe de confort/inconfort qui est rapidement compris par le cheval: celui-ci va donc rapidement apprendre à donner la "bonne réponse" dès l'ébauche de demande formulée. On gagne ainsi en beauté dans le geste et on conserve la fraîcheur du cheval.
Je n'oserais pas ici exposer plus en détails cette méthode, n'ayant pas suivi l'enseignement de Philippe Karl mais il y a concept que j'utilise depuis que j'ai ma jument et qui m'a énormément aidé à une période où elle était plutôt fâchée avec le mors: la cession de mâchoire.
Qu'est-ce que la cession de mâchoire?
Le cheval cède au niveau de sa mâchoire à partir du moment où il mobilise la mandibule (= la mâchoire du bas) et la langue. La nuque, l'encolure et les épaules se décontractent. Le bout de devant devient alors flexible.
Concrètement, quand il y a cession de mâchoire, on sent que le cheval "suçotte" son mors. Celui-ci ne semble plus "bloqué" entre les mâchoires. Le contact avec la bouche devient moelleux et on retrouve une communication avec le bout de devant. C'est vraiment une sensation particulière, difficilement explicable par écrit et qu'il faut, je pense, avoir vécu au moins une fois pour vraiment comprendre et surtout sentir ce qu'il se passe à ce moment-là.
Cession de mâchoire au galop: les rênes sont souples, l'encolure reste relevée, la mâchoire s'ouvre et le cheval déglutit. Source |
L'Hotte a très bien décrit le phénomène (et Philippe Karl le cite par ailleurs): "La décontraction de la bouche consiste essentiellement en un mouvement de la langue analogue à celui qu'elle exécute pour la déglutition, la mâchoire inférieure ne s'écartant de la supérieur que dans la mesure nécessaire pour permettre le mouvement de la langue."
Pourquoi utiliser la cession de mâchoire?
La cession de mâchoire permet, on l'a vu, de décontracter la bouche et donc de rendre le cheval plus perméable à nos actions et nos demandes. Le dialogue s'instaure et l'on peut commencer à travailler dans la suggestion plutôt que dans la contrainte.
Pour schématiser:
- mâchoires crispées = bouche bloquée = nuque verrouillée = cheval "braqué"
- cession de mâchoire = bouche débloquée = nuque déverrouillée = cheval perméable aux actions.
Cette cession de mâchoire, couplée à un travail effectué dans le bon sens, va conduire à obtenir la mise sur la main. La mise sur la main est donc la conclusion, l'aboutissement d'un travail bien mené et pas un pré-requis au travail. En pensant de cette dernière façon, on aura certes un certain placer de la tête mais celui-ci sera totalement artificiel et "faux" puisque bien souvent cette forme de placer va de paire avec un dos creux et des postérieurs 15km derrière le cheval. Pire encore, il pourra constituer une forme de défense du cheval face à une main trop dure (c'est le cas du cheval qui s'encapuchonne pour se soustraire à cette main qui le contraint trop fort).
La cession de mâchoire, en détendant tout le bout de devant, couplée à un travail mené principalement sur l'impulsion et l'assouplissement va aider le cheval à utiliser tout son corps dans le bon sens: les postérieurs s'engagent sous la masse, les abdominaux travaillent et "poussent" le dos vers le haut, le dos remonte, l'encolure s'arrondit et la tête vient se placer correctement, le cheval dialoguant avec la main au moyen de son mors.
Comment obtenir la cession de mâchoire?
On l'a vu, la cession de mâchoire suppose que la langue puisse fonctionner de manière assez libre. Pour le permettre, il faut commencer par renoncer à travailler avec les mains basses. En effet, une main basse agit sur la langue; il sera donc impossible d'obtenir une quelconque décontraction de la langue en agissant justement dessus.
On commence par relever l'encolure du cheval de manière à le rendre "plus léger" à l'avant et éviter qu'il ne s’appuie sur la main. Il a ainsi toute latitude pour utiliser ses articulations (mâchoire et nuque) sans se retrouver bloqué.
On place ensuite les mains assez haut (sans tirer surtout!) par rapport à la bouche du cheval. On met du contact (toujours sans tirer) pour solliciter la bouche au niveau de la commissure des lèvres.
Dès que la bouche s'ouvre, on relâche: on baisse les mains et on réduit le contact au minimum. C'est ce qu'on appelle la descente de mains.
Petit à petit, on va obtenir un cheval qui cède de plus en plus vite et longtemps à des demandes de plus en plus discrètes.
Une fois la cession de mâchoire maîtrisée. on va travailler les flexions d'encolure.
Qu'est-ce que la flexion d'encolure et comment l'obtenir?
Il y a flexion d'encolure tout simplement à partir du moment où le cheval vient plier son encolure à un angle plus ou moins aigu.
Flexion d'encolure Source |
La flexion d'encolure doit toujours être obtenue dans le calme et la décontraction. Une flexion se demande et se travaille progressivement mais elle ne se prend jamais. Fléchir l'encolure de force, c'est un peu comme si on nous forçait à travailler un muscle pendant une crampe: ça fait mal, c'est stressant et ça n'aboutit à rien du tout à part abîmer un peu plus le corps (et le mental).
On peut la demander à pied d'abord puis à cheval. A pied, on peut la demander vers soi (je suis à droite de mon cheval et je lui demande de plier vers la droite) ou vers l'opposé (je suis à droite de mon cheval et je lui demander de plier vers la gauche). Il faut bien entendu la travailler des deux côtés.
A pied, on se place à hauteur de la tête du cheval, à droite (pour l'exemple) avec un cheval à main gauche. Notre main gauche va gérer la rêne intérieure (passée par dessus la nuque); notre main droite vient se placer dans l'anneau extérieur du mors. On pousse ensuite doucement la tête du cheval afin qu'il ploie l'encolure. Une fois le pli obtenu, on ne relâche pas tout de suite: on demande une cession de mâchoire. Dès qu'on l'obtient, on passe en descente de main.
L'idée est de réussir à obtenir des flexions d'encolure à 90° dans la décontraction. La flexion d'encolure apprend au cheval à tendre sa rêne extérieure.
Qu'est-ce que la flexion/cession de nuque et comment l'obtenir?
La flexion de nuque ou cession de nuque est l'action par laquelle le cheval va céder dans sa nuque et abaisser plus ou moins celle-ci.
C'est l'aboutissement du travail mené sur les cessions de mâchoire et flexions d'encolure.
On commence par demander une cession de mâchoire puis une flexion d'encolure. Au lieu de relâcher, on va résister sur la rêne extérieure afin de provoquer une flexion de nuque (le bout du nez descend et s'avance). On accompagne le mouvement avec les main puis on redemande une cession de mâchoire et on passe en descente de main.
Attention à ne pas demander de flexion de nuque AVANT la cession de mâchoire et la flexion d'encolure. La nuque doit toujours rester ouverte afin de rester mobile. L'angle tête/encolure viendra se fermer de lui-même avec le travail. Un cheval qui se mettrait de lui-même à fermer l'angle tête/encolure alors qu'on lui demande une cession de mâchoire est un cheval en défense qui cherche à échapper à la main. Une nuque fermée trop tôt à tendance à mettre le cheval dans un équilibre assez précaire sur les épaules.
Qu'apportent ces exercices? Dans quels cas les utiliser?
Ces exercices sont utiles à toutes les étapes du travail du cheval. Ils vont permettre d'instaurer ou de restaurer la décontraction indispensable à une progression et un travail dans le bon sens. Ils permettent également au cheval de comprendre comment fonctionne le mors, la main et ce qu'on attend de lui. Enfin, ils permettent de créer une base de travail vers laquelle se tourner lorsqu'on se trouve dans une situation conflictuelle avec le cheval.
On devrait donc les apprendre au cheval dès le débourrage.
Au niveau du choix du mors (qui a ici toute son importance), privilégier un mors simple que l'on maîtrise bien (on peut bien entendu faire ces exercices avec une bride complète mais encore faut-il avoir la main qui va avec...): mors à aiguilles, mors Chantilly, Verdun, à olive, Baucher (à défaut un Pessoa sur lequel on fixera les rênes sur le gros anneau)...
Si le cheval à une bouche muette (cheval très figé dans sa bouche, en conflit avec la main ou en passe de l'être), utiliser des matériaux plus décontractants (cuivre, Cyprium, Aurigan...) ou des types de mors qui incitent au jeu de la langue et des mâchoires (mors à jouet par exemple).
Si au contraire le cheval à une bouche bavarde (attitude non fixe, cheval qui joue beaucoup trop avec son mors, mâchouillage acharné...), utiliser des mors droits, en résine ou recouverts de cuir pour inciter au contact calme.
Pour le cheval qui a tendance à mettre sa langue n'importe comment (par dessus le mors, hors de la bouche), on peut utiliser temporairement des mors anti passe langue mais tout en gardant à l'esprit qu'il s'agit d'une solution transitoire pour aider le cheval à comprendre ce que l'on attend de lui et pas d'une solution permanente. Eh oui, utiliser un anti passe langue qui a pour effet de bloquer la langue alors qu'on cherche justement à utiliser son mouvement pour décontracter le cheval, c'est un peu paradoxal, non?
Une fois les différents exercices mentionnés plus haut acquis à l'arrêt, il s'agit de les réutiliser à bon escient dans nos séances. Pour cela, on va commencer chaque exercice par une cession de mâchoire + flexion d'encolure + cession de nuque. Une fois celle-ci obtenue, on demande le mouvement en avant. Dès que le cheval commence à peser à la main, devient un peu lourd à l'avant, on l'arrête et on redemande cession de mâchoire + flexion d'encolure + cession de nuque.
Et pourquoi ne pas utiliser des enrênements pour gagner du temps?
Les enrênements ont l'énorme inconvénient de "contraindre" (on dit souvent "inciter" pour faire moins méchant) le cheval à adopter une certaine attitude. On a alors bien souvent un cheval qui se place comme on le souhaiterait à l'avant mais le reste ne suit pas: la locomotion est entravée, les muscles travaillent dans la contraction et la tension, le dialogue main/bouche, parasité par l'action de l'enrênement ne peut plus se faire convenablement. La main ne joue plus son rôle de pédagogue et de guide, c'est l'enrênement qui prend ce rôle mais comme ce n'est ni plus ni moins qu'un tas de ficelles , ça conduit le cheval à percevoir une sorte "d'injustice" dans la main (l'enrênement ne sait pas rendre au bon moment comme la main pourrait le faire).
Je ne m'attarderai pas sur les muserolles mais qu'on en utilise une ou pas (les croisées et allemandes sont vraiment à éviter à mon sens au moins pour ce genre de travail), veiller à ce qu'elle ne soit pas trop serrée afin de permettre le jeu des mâchoires et de la langue.
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