"-Voici mon secret. Il est très simple. On ne voit bien qu'avec le coeur; l'essentiel est invisible pour les yeux. Les Hommes ont oublié cette vérité (...). Mais tu ne dois pas oublier: tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé."

Antoine de St Exupery

samedi 21 février 2015

Faire le lien entre théorie et pratique... de manière tout à fait fortuite! (ou When science meets application)

Durant mes quelques jours passés à la clinique, j'ai eu l'occasion de me replonger encore une fois dans le bouquin de VSV "Eduquer le poulain du sol à la selle" (dont il faut que je fasse la review si je ne l'ai pas déjà fait car c'est vraiment un excellent livre que tout éducateur devrait avoir lu au moins une fois).

Un passage a retenu mon attention. Page 173, dans la partie consacrée au "nerf de la guerre" à savoir la désensibilisation/gestion de la peur, l'auteur indique: 

"On entend souvent dire qu'il faut apprendre au cheval à gérer sa peur ou son stress mais c'est se faire une fausse idée de l'objectif. Quand la peur est forte, l'animal ne gère rien du tout. Quand elle est légère, il peut simplement continuer à obéir aux aides ou à appliquer les contrats qui lui ont été enseignés. C'est donc le cavalier qui gère... Un poulain qu'on expose régulièrement à la peur au delà du niveau d'alerte [le lecteur est renvoyé à un tableau; pour simplifier de manière extrême, le niveau d'alerte est le moment où le poulain a l'encolure haute, les pieds vissés au sol et les oreilles pointées; les stades auxquels il ne faudrait jamais accéder sont les stades de fuite, plus ou moins lente]. progressera moins vite et moins solidement que celui avec lequel on évite d'atteindre ce niveau. Il ne s'agit pas, bien au contraire, de le tenir à l'écart des nouveautés, mais de doser les choses correctement, pour qu'il prenne confiance en lui et en son éducateur. Le but n'est pas qu'il gère sa peur mais qu'il n'ait plus peur du tout!"

Pour ceux qui ne connaîtraient pas VSV, elle a mené un énorme travail autour de la gestion de la peur chez le cheval. L'ensemble de ses principes d'apprentissage tourne autour de l'idée d'avoir un cheval le plus sécuritaire donc un cheval qui n'a "pas" peur ou en tous cas qui est le plus autonome possible face à celle-ci. La gestion de la peur est donc un des objectifs premiers de l'éducateur (et non pas du cheval, comme nous l'indique VSV). Il est donc important de mettre quotidiennement le poulain en situation d'apprentissage afin de le familiariser avec toute sorte de monstres (et donc d'en faire un adulte plus courageux) mais sans pour autant le placer en situation de peur et donc d'échec. La frontière entre les deux est ténue, et on a vite fait de créer une belle frousse à un poulain en voulant simplement lui présenter une nouveauté.

Mais alors comment faire? Outre les capacités éducatives qui varient d'une personne à une autre et sur lesquelles on ne peut pas toujours agir, il nous faut trouver des "astuces", une ligne de conduite qui permette d'amener de la nouveauté sans pour autant déclencher la peur du poulain.

VSV propose une solution toute simple: le pré

"Disposer d'un pré qui mette le poulain au contact de la civilisation est un véritable atout éducatif. S'il bénéficie d'un pré de maison, par exemple, il s'accoutumera peu à peu à observer des évènements qui effraient les jeunes élevés à l'écart de la civilisation: brouettes qu'on pousse, poubelles qu'on traine, volets qui s'ouvrent, nappe qu'on secoue, linge qui sèche au vent, enfants qui jouent, chiens, chats, poules qui passent, tondeuses, motoculteur, voitures, feu de broussailles, tronçonneuse, visseuse électrique..."

Moi qui ai souvent peur de l'accident, je mets un point d'honneur à surveiller et supprimer tout ce qui peut être trop dangereux pour mes chevaux. Chez nous, il n'y a pas de rubans cassés, de fils de fer qui trainent, de clous au sol... Cependant, j'ai pris le parti de laisser en place des choses que j'aurais auparavant supprimé très rapidement par peur de l'accident. Ainsi, nous traversons régulièrement le pré en voiture alors que le chevaux sont sur la parcelle également. Nous y stockons du bois, des planches, des pierres (et même une carcasse de poussette ce dont j'ai horreur mais elle amuse follement Djinko donc...). Nous y bricolons, nos chiens/chats/poules s'y promènent...

Pas plus tard que tout à l'heure, je regardais mes chevaux évoluer devant chez moi et je me faisais la réflexion que depuis que Yoyo n'évoluait plus dans des prés "aseptisés", elle était devenue plus courageuse (bon c'est pas le top du top mais y'a du progrès). Kiki qui n'a connu que ce type de pré par contre est hyper courageux, posé et réfléchi. Tout à l'heure, donc, il s'est approché de notre tas de bois bâché et a commencé à jouer avec la bâche (son grand jeu, c'est de tirer dessus). Après l'avoir retirée du tas de bois, il l'a traînée un peu au sol puis... il est passé dessus, tout à fait naturellement! Yoyo était à côté et par imitation, elle est passée dessus aussi. Pire encore: mon Djinko, non content d'être passé dessus, s'est offert un nouveau passage en marquant l'arrêt, les quatre pieds sur la bâche! Il s'agit pourtant d'un exercice que l'on doit très souvent faire travailler à nos chevaux à la manière d'une vraie "leçon" (on a d'ailleurs travaillé ça avec Yoyo sans l'avoir acquis à 100%). On met parfois du temps à obtenir une vraie décontraction du cheval sur cet exercice et voila que grâce à plusieurs petites séances d'auto-apprentissage, mon Djinko s'est éduqué tout seul à l'exercice!

Djinko qui fait sa sieste sur la bâche

Je pense que, comme les enfants, les poulains (et les chevaux) sont capables d'apprendre par l'expérimentation autonome. Proposer une découverte plutôt que contraindre à réaliser un exercice. Mettre le cheval en situation de découverte (sans le placer en difficulté dès le début) et le laisser expérimenter ses solutions jusqu'à trouver la réponse attendue. On se retrouve alors avec des chevaux qui à mon sens gardent leur fraîcheur et leur capacité à communiquer avec l'humain, tout simplement parce qu'ils oseront beaucoup plus facilement proposer à leur tour des réponses aux difficultés rencontrées, et qu'ils seront en mesure de le faire avec calme plutôt que dans un élan de peur.

Le deuxième constat que je fais de cette expérience, c'est qu'il ne faut vraiment pas négliger la puissance des interactions sociales dans l'apprentissage équin. Là où je bloquais avec ma Yoyo (l'avoir vraiment sereine sur la bâche), le simple fait de voir un jeune moins expérimenté (et sans doute plus téméraire aussi) se montrer aussi confiant dans la réalisation de l'exercice, l'a rassurée et lui a permis de surmonter ses difficultés. On pourrait analyser cet exemple en profondeur et en tirer des conclusions sur sa relation avec moi ou avec l'humain en général mais ce serait extrêmement long. Il semble néanmoins qu'elle fasse plus facilement confiance à Kiki qu'à moi. J'essaierai de me resservir de ça dans quelques temps pour certains apprentissages.

Si le sujet vous intéresse, je ne peux que vous conseiller les trois fabuleux livres de Véronique de Saint Vaulry:
- "Quand le cheval a peur", qui traite précisément et de manière détaillée de la gestion de la peur équine;
- "Communiquer avec son cheval", véritable "Bible" de la relation cheval/humain qui permet de mieux comprendre le cheval, son fonctionnement cognitif;
- "Eduquer le poulain du sol à la selle" (qui peut très bien s'adapter à des chevaux adultes) qui donne un vrai programme d'apprentissage basé autour des concepts évoqués plus haut.

Le site de Véronique est également riche en infos (quand je vous dis que cette femme est géniale! et touche à tout en plus...): http://saint-vaulry.pagesperso-orange.fr/ 

Enfin, gardons à l'esprit que notre seul maître en la matière est et doit rester le cheval ;) 

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